Laurence Renault

Le propos de cet article est de mettre en évidence la présence implicite, dans les textes de Descartes, de la théorie de la pure nature (élaborée notamment par Cajetan et par Suarez dans leurs commentaires de la Summa theologiae de Thomas d'Aquin), afin de montrer l'affinité de cette théorie de la fin de la nature humaine avec la théorie cartésienne de la connaissance. My aim is to point out the presence, in Descartes's writings, of the « théorie de la pure nature » (which appears in Cajetan's and Suarez's commentaries on the Summa theologiae of Thomas Aquinas), in order to show the links between this ethical theory and Descartes's conception of the human knowledge

Descartes a entrepris de détruire la pratique aristotélicienne de la philosophie : à son savoir seulement probable, les Regulae, puis les Essais opposent une science certaine d'objets clairs et distincts. Mais cette instauration concerne aussi, peut-être même d'abord, l'idéal pratique qu'Aristote ne cesse de viser dans les sciences théorétiques : le sage parvient à la félicité par l'exercice même d'une connaissance si parfaite qu'elle imite celle du dieu, qui pense sa pensée en acte et éternellement. Descartes met décidément en crise la félicité par la contemplation, dont la pensée médiévale avait hérité d'Aristote. Pourtant, une autre figure de la félicité se dégage tout aussi indiscutablement de l'entreprise cartésienne : la méthode, la certitude scientifique qu'elle permet et les principes métaphysiques qui assurent l'une et l'autre restent, à chaque moment, solidaires d'une attitude et d'une ambition proprement morales - la volonté infinie aboutit à la générosité, où la considération du bon usage de notre libre-arbitre permet le - contentement de soi-même -. Ainsi la philosophie atteint-elle, pour Descartes aussi, à une félicité. Mais à une félicité volontaire et non plus contemplative. On tentera donc d'abord de mesurer, dans différents champs de la philosophie cartésienne, l'impact de la certitude jusque sur les questions d'éthique ; ensuite, de souligner la référence constante, quoique souvent implicite, de Descartes à la félicité telle qu'Aristote la visait ; enfin, de suivre leur dialogue au fil conducteur de leurs versions divergentes, mais complices, de l'admiratio et du thaumazein.

Descartes a entrepris de détruire la pratique aristotélicienne de la philosophie : à son savoir seulement probable, les Regulae, puis les Essais opposent une science certaine d'objets clairs et distincts. Mais cette instauration concerne aussi, peut-être même d'abord, l'idéal pratique qu'Aristote ne cesse de viser dans les sciences théorétiques : le sage parvient à la félicité par l'exercice même d'une connaissance si parfaite qu'elle imite celle du dieu, qui pense sa pensée en acte et éternellement. Descartes met décidément en crise la félicité par la contemplation, dont la pensée médiévale avait hérité d'Aristote. Pourtant, une autre figure de la félicité se dégage tout aussi indiscutablement de l'entreprise cartésienne : la méthode, la certitude scientifique qu'elle permet et les principes métaphysiques qui assurent l'une et l'autre restent, à chaque moment, solidaires d'une attitude et d'une ambition proprement morales - la volonté infinie aboutit à la générosité, où la considération du bon usage de notre libre-arbitre permet le - contentement de soi-même -. Ainsi la philosophie atteint-elle, pour Descartes aussi, à une félicité. Mais à une félicité volontaire et non plus contemplative. On tentera donc d'abord de mesurer, dans différents champs de la philosophie cartésienne, l'impact de la certitude jusque sur les questions d'éthique ; ensuite, de souligner la référence constante, quoique souvent implicite, de Descartes à la félicité telle qu'Aristote la visait ; enfin, de suivre leur dialogue au fil conducteur de leurs versions divergentes, mais complices, de l'admiratio et du thaumazein.

C'est au XIIIè siècle que la scolastique prend son essor. La scolastique, c'est-à-dire un ensemble de spéculations très diverses, mais dont la diversité surgit par confrontation, du fait de la méthode de la disputatio, exercice pédagogique et forme littéraire du savoir universitaire. C'est cette structure fondamentalement discursive de la pensée européenne qui apparaît au XIIIè siècle et se déploie jusqu'au XVIIIè siècle. C'est aussi au XIIIè siècle que la pensée occidentale " redécouvre " Aristote et s'y confronte, pour se l'assimiler ou s'y opposer, mais toujours en utilisant les concepts fondamentaux de sa pensée. A ces deux égards, au moins, la pensée de Thomas d'Aquin (1225-1274) est exemplaire et mérite notre intérêt. Ce livre cherche à en dégager les aspects philosophiques fondamentaux, ainsi que la visée unifiante qui permet de s'orienter dans une œuvre aux proportions monumentales.