Jill Drouillard

D’après Heidegger, chaque époque/épochè est caractérisé par un certain mode de révélation des étants, qui est à la fois une dissimulation d’une façon de l’Être. Ce mode particulier paraît ne venir de nulle part en ce qu’il se base sur un certain oubli. Dana S. Belu le met en scène pour son livre en faisant valoir la tendance de Heidegger « to treat the history of being (Seinsgeschichte) as a noncausal succession of universal principles of intelligibility that presupposes the forgetting (Seinsvergessenheit) of the clearing (die Lichtung) as their source » (p. 15). L’oubli de notre époque est marqué par une divulgation technologique dans le mode de l’arraisonnement (Gestell) où les étants se révèlent comme partie du fonds (Bestand) d’être calculés, manipulés, exploités, et mis en réserve pour un usage ultérieur. La phénoménologie féministe de l’A. essaie de faire sens à la gestation, la maternité et la procréation médicalement assistée (PMA) qui font aux femmes faire partie de ce fonds et ouvre, parmi les paramètres du Gestell, la porte à une ère « sans mère ».

Même si ce livre ne compte pas plus d’une centaine de pages, l’analyse qu’il offre de Heidegger et de sa relation à l’environnement s’avère plutôt exhaustive. Si Casey Rentmeester le fait débuter par une brève histoire du développement de la philosophie environnementale, précisant comment cette discipline a largement affaire à l’éthique appliquée et l’éthique normative, il y explique bientôt comment des philosophes tels que Naess, Thomson et Toadvine emploient aujourd’hui des méthodes non-traditionnelles — ecofeminism, ecophenomenology, deep ecology — pour explorer des aspects négligés par le courant philosophique qui y domine. Avant de s’appuyer sur l’œuvre heideggérienne pour répondre aux questions peu examinées par cette tradition de pensée, l’A. décrit brièvement la manière dont certains des représentants de celle-ci — Siedel, Zimmerman et Foltz notamment — se servent de celle-là pour mieux saisir la position de l’homme dans la nature. À l’en croire, son but est double : utiliser d’abord la critique phénoménologique de la métaphysique établie par Heidegger pour montrer comment, au sein de cette dernière, notre compréhension de l’être a mené à une destruction de l’environnement, puis penser avec Heidegger pour chercher à ce problème une réponse post-métaphysique qu’il s’agirait d’esquisser si tant est qu’il y en ait une. Or, tel est le cas pour Casey Rentmeester, qui se tourne en définitive vers le taoïsme pour lui emprunter son image d’un environnement durable.

Le climat politique actuel en France abonde de débats à propos de l’identité nationale et du voile; en fait, le voile est devenu un symbole séparant l’idée d’une nation française et d’une nation islamique. Cependant, peu d’attention est portée sur la façon dont la perception de la différence de la femme est essentielle à la formation du citoyen français. Au lieu de se demander simplement “que veut dire être Français?” une seconde interrogation devrait suivre sur la façon dont se construit la femme voilée dans la société française. En faisant appel à la philosophie de Hegel, les réflexions philosophiques employées pour ce projet cherchent à poser de nouvelles questions pouvant éclairer le débat sur l’identité nationale: la femme voilée est-elle l’Antigone des temps modernes? Quel est l’enjeu de dévoiler la femme voilée? D’où vient ce désir de la dévoiler?

Using Ursula K. Le Guin’s The Left Hand of Darkness as an inspirational backdrop, a novel whose story unfolds on a genderless planet that nevertheless relies on reproductive sex for the sake of generativity, this paper tackles the sex/gender debate, its entanglements with procreation, and its consequences for transgender pregnancies. More specifically, I analyze three issues that pose barriers to thinking about a more inclusive reproductive ethics: state-sanctioned sterilization, non-reproductive futurism, and access to assisted reproductive technology.

ABSTRACT This article takes Judith Butler’s epistemological problem of “framing” alongside Dana S. Belu’s notion of “reproductive enframing” to analyze whose bodies lie outside the borders of who is considered the appropriate reproductive citizen. Are all bodies subject to reproductive enframing under a totalizing technological ideology that Martin Heidegger refers to as Gestell? Or, does Belu’s notion of “partial enframing” allow a space to queer, or upset, our current understanding of such ideology? By queering the way that we currently view assisted reproductive technology, can we widen the frame or cross its borders? In this article, I am primarily concerned with the necessity to queer French reproductive policy, though the questions I raise can be extended to any critiques of ART.

What kind of rhetoric frames French reproductive policy debate? Who does such policies exclude? Through an examination of the “American import” of gender studies, along with an analysis of France’s Catholic heritage and secular politics, I argue that an unwavering belief in sexual difference as the foundation of French society defines the productive reproductive citizen. Sylviane Agacinski is perhaps the most vocal public philosopher who has framed the terms of reproductive policy debate in France, building an oppositional platform to reproductive technology around anthropological assertions of sexual difference. This paper engages with Agacinski to examine rhetorical claims of sexual difference and how such claims delayed passage of France’s revised bioethics legislation that extends access of assisted reproductive technology (ART) to “all women.” Though the “PMA pour toutes” [ART for all women] legislation was eventually passed, such rhetoric motivated the explicit exclusion of all trans person from its extension, thus hardly permitting ART to all women.

Cet article parle de la nécessité de repenser la notion de la différence sexuelle après le mal appropriation de celle-ci par « la manif pour tous ». Chaque tentative de former une ontologie fondée sur cette différence risque une favorisation de l’hétéronormativité et de l’essentialisme. En me servant de la philosophie d’Elizabeth Grosz sur Darwin, j’essaie de reformuler la différence sexuelle en des termes positifs et de voir celle-ci comme une notion qui facilite (plutôt que limite) la diversité. Le texte est divisé en deux parties : 1. L’instrumentalisation de la différence sexuelle pour promouvoir l’hétéronormativité, et 2. Repenser une ontologie fondée sur la différence sexuelle.

This paper uses the figure of the nomad from the work of Rosi Braidoti to critically examine rhetoric about vaccine and masking mandates, and the science of covid more broadly. I draw out the tensions and ambivalence felt as we navigate this on-going crisis in ways epitomized by the phrase “I have a healthy mistrust of authority, and I am still vaccinated.” Though ambivalent, the nomadic subject finds an affirmative ethics, navigating the “right” response to incite positive change and expose our current states of subjectivity. Recognizing the ambivalence of this state may be useful for feminists who critique medicine for its historical sexist and racist “objectivism,” while also supporting medical science and trust in the case of vaccine mandates.

On Oct. 24, 2019, French philosopher Sylviane Agacinski was scheduled to speak at the Université de Bordeaux-Montaigne on « l’être humain à l’époque de sa reproductibilité technique » [the human being in the era of its technological reproducibility]. Amidst “violent threats” and their purported inability to assure the safety of Agacinski, the organizers cancelled the event. Agacinski and other French intellectuals lament what they perceive to be part of a “drifting liberticide”, a form of censorship that forbids the exchange of ideas and forecloses open space for debate. The story goes that Agacinski, notable for her staunch opposition to surrogacy and extending assisted reproductive technologies (ARTs) to non- heterosexual couples, as well as her anthropological claim that the fabric of our social order relies on the heteronormative structure of sexual difference, has been silenced. In a communiqué to the university, student organizations such as Riposte Trans and Mauvais Genre-s pleaded “no platform”, indicating that Agacinski’s reactionary homophobic and transphobic positions run contrary to the university’s mission of safeguarding against discrimination. What to do when an incitement to (epistemic) violence masks itself as free speech? Bring Sara Ahmed’s hammer to France.

Né dans le sillage d’un « significant renewal of interest in Bergsonism and a greater recognition of his influence on twentieth-century philosophy » (p. 1), ce livre ne pouvait que poser des questions sur le temps, ramenant également à la philosophie de Heidegger, à qui l’on doit l’une des pensées les plus originales à ce sujet. Aussi Heath Massey s’emploie-t-il lire les textes de Bergson qui tentent de repenser la notion traditionnelle de temps à côté de ceux de Heidegger, mettant plus particulièrement en lumière l’influence de celui-là sur celui-ci, une influence largement passée inaperçue. L’importance de cette œuvre tient dans la façon dont l’A. conteste la philosophie du temps que Heidegger attribue à Bergson. Notre guide considère la lecture bergsonienne de Heidegger comme une « oversimplication » (p. 84) et vise à éclaircir comment, malgré les propos du penseur allemand, le philosophe français a été capable de radicalement repenser le temps d’un point de vue ontologique. Dès lors, l’ouvrage s’achève sur un goût de soupçon, celui-ci faisant dire que Heidegger a essayé de se distinguer de Bergson pour ne pas admettre ce dont il lui est redevable.

“Rien n’arrive ni comme on l’espère, ni comme on le craint. Nothing really happens as we hope it will, nor as we fear it will.” 1 Améry appropriates this quote of Proust to highlight how our imaginative powers can never approach its reality during an extreme event. This failure of what he coins our anticipatory imagination is depicted in his phenomenological account of torture, an event whose extremity is later compared to another embodied experience: that of aging. Equating torture with aging may seem shocking to some, and Améry was critiqued for suggesting such a parallel, particularly since he narrates a lived experience with the latter at the mere age of fifty-five. He revisits this critique in the preface to the fourth edition of On Aging: Revolt and Resignation where he states: "Today as much as yesterday I think that society has to undertake everything to relieve old and aging persons of their unpleasant destiny. And at the same time I stick to my position that all high- minded and reverential efforts in this direction, though indeed capable of being somewhat soothing- are still not capable of changing anything fundamental about the tragic hardship of aging." - Jean Améry, On Aging [Améry’s emphasis] The “today” of society that Améry referenced was 1977. But what about today? Is Améry correct in projecting that despite our best efforts nothing fundamental can change the quite unbearable experience of aging? Are attempts to aid the aging complicit in a “vile dupery” that ends in “metaphorically empty” phrases such as “rest in peace”? 3 I would like to pose these questions in the wake of a heated debate in France regarding the legality of assisted suicide for aging persons. Thus, this paper seeks to not only dissect his account of aging but to ask whether his philosophy could be read alongside current French thinkers to better assess comment mourir dans la dignité.

“In the beginning there was hunger.” This opening quote from Levinas sets the stage for Pelluchon’s ethico-political project that revamps classical phenomenology’s intentionality of the ego by focusing on the sensing and enjoyment of the “gourmet cogito” who “lives from” and finds nourishment in a world that cannot be reduced to a noeme. She critiques Heidegger’s existential analytic and focuses on an ontology where our love of life precedes our being-towards-death, before boldly mapping out a new social pact, founded on the structures of existence that her phenomenology of nourishment reveals.

Jacopo Baboni Schilingi’s interactive musical compositions Argo and Terra play with time, space, and material sound to capture a symbiotic relationship between technology and the most intimate process fundamental to life: breathing. Argo reacts to the artist’s respiration in “real time,” generating an “infinite” sequence of diverse musical arrangements that question the relation between the human body and technology and contingency and programming. Noting the egotistical tendencies of artists, Schilingi likens himself to Odysseus, the master of Argo, the name given to his faithful technological invention. This theme of mastery is revisited in Terra where Schilingi’s hands, covered in sensors, manipulate both the musical composition and the dance movements of a female body, a body whose fertile tension both emerges and withdraws in a battle akin to Heidegger’s earth/world strife. This chapter provides a hermeneutic reading of Argo and Terra within a Heideggerian framework that does not, as Luce Irigaray has noted, forget air. Irigaray states, “Air does not show itself. As such, it escapes as (a) being. It allows itself to be forgotten.” Schilingi’s generative music makes air visible and hauntingly audible, as the music can only be stopped when the artist’s life comes to an end.