Johanna Lenne-Cornuez

Transcending an often outraged opposition between the two authors, this volume reassesses the legacy of Locke's thought in that of Rousseau, in all the areas of his philosophy (personal identity, epistemology, medicine, morality, pedagogy, economics, politics). Beyond an intellectual history, this collected volume highlights the fruitful critical dialogue that Rousseau maintains with Locke, while identifying the ways in which the Citizen of Geneva distorted his predecessor’s thought. While establishing the author of Emile’s debt to the ‘sage Locke’, the volume also discerns the relevance of Rousseau’s objections to Lockian philosophy. In what sense did Rousseau establish his own philosophy on ‘common principles’ to those of Locke? How does he subvert the Essay Concerning Human Understanding or the Thoughts Concerning Education? What are the blind spots in Locke’s philosophy that Rousseau highlights and, conversely, the limits of Rousseau’s criticism of Locke? These are the main aspects of this volume, which brings together scholars in philosophy and literature, on Rousseau and Locke.

Although Rousseau substitutes the norm of political law for that of natural law, his position cannot be assimilated to either positivism or to pure proceduralism. The norm of justice, immanent in the social contract, produces a norm external to all established order and makes assessing the justice of societies possible. If consent is legitimate only on the condition of real reciprocity, then the limits of consent lie in the fact that what is lost cannot be compensated or restituted through any other form. The rights of humanity can then be defined as the inalienable rights of every individual: the rights to life and to equal freedom. This contribution will define the right of resistance which can be conceived from the rights of humanity, as well as the contesting attitudes of the established order that Rousseau conceives.

While scholars have analysed Rousseau’s critique of Locke on the one hand and the controversial place of the woman in Emile on the other, this essay argues that Emile’s Book V must be enlightened by Rousseau’s critical dialogue with Lockean philosophy. Notwithstanding the fact that Rousseau's Emile owes a great deal to Locke's Thoughts on Education, there is an irreducible distance between each of the two authors’ art of ‘forming a man’. According to Rousseau, Locke fails in making the child truly generous. For lack of forming a citizen in the full sense of the term, Rousseau’s governor forms a man: a being who is aware of his place in humanity. Neutralizing man’s identification with his social place makes the natural feeling of compassion possible again. However, human self consciousness cannot easily replace patriotic self-consciousness. Virtue requires a sense of belonging to a community. Therefore, Rousseau blames Locke for abandoning his pupil at the most perilous moment: the age of marriage. In the absence of a political community, the common ego will be that of home. Rousseau’s philosophy addresses a challenge to those who wish to form a modern man, both independent and beneficent, even though his own solution remains unsatisfactory inasmuch as it sacrifices women’s liberty.

D’Alembert ouvre un espace à la philosophie générale en s’élevant à un point de vue qui, s’il est général, n’est ni abstrait ni de nulle part, parce qu’il rassemble les connaissances humaines en les éclairant sous l’angle de leurs connexions. Ni métaphysique, ni science des fondements, ni pure méthodologie, l’ordre encyclopédique défini par le « Discours préliminaire » tire des éléments des sciences une réflexion sur l’unité articulée des savoirs. La généralité concrète tient à un acte de mise en relation, s’attachant à redéfinir chaque science par le complexe de rapports dans lequel elle s’inscrit. La philosophie générale justifie l’effort d’ordonnancement des savoirs qui, sans rien céder à un vain esprit de système, leur confère un sens irremplaçable, que cette contribution s’attache à élucider.

S’attachant à définir la forme politique que la solidarité féminine peut prendre à la fin du 18e siècle, cette contribution analyse deux discours : celui de Germaine de Staël compatissant avec le sort réservé à Marie-Antoinette, la reine déchue, et celui d’Isabelle de Charrière exprimant son indignation face au traitement infligé à Thérèse Levasseur, la femme de Rousseau. La comparaison de ces deux formes d’engagement public permet de montrer l’indissociabilité entre la réflexion sur la condition féminine et celle sur la condition sociale. L’énonciation féminine de soi, la revendication d’une solidarité impartiale, l’engagement dans une cause féministe et la constitution d’un sujet collectif féminin par l’expression de sa solidarité sont les aspects remarquables qui justifient le rapprochement de ces deux textes, mais font aussi émerger ce qui les sépare dans les rapports d’inclusion et d’exclusion qu’ils impliquent, traversés par la question sociale. Dans ces deux formes de solidarité se jouent alors deux manières d’assumer l’héritage de Rousseau.

La tentation est grande de considérer Des circonstances actuelles qui peuvent terminer la Révolution et des principes qui doivent fonder la République en France comme une œuvre de circonstance, inachevée et abandonnée. En s’appuyant sur l’édition critique la plus récente, cette contribution montre au contraire que, par-delà les analyses circonstancielles, l’œuvre de Staël témoigne d’une originalité profonde de sa pensée politique, tentant un alliage singulier face auquel les étiquettes de libéralisme et républicanisme ont tendance à faire écran. Malgré la proximité avec le courant qui, d’Helvétius aux Idéologues, entend procéder à un calcul des intérêts, la perspective de Staël ne saurait être dissociée de son insistance récurrente sur l’injustice que représente tout sacrifice des droits de l’individu. Selon le manuscrit de 1798, il existe un mal absolu qui ne peut être relativisé par un quelconque calcul utilitariste. Loin d’opposer ordre social et droits de l’individu, liberté politique et liberté individuelle, il s’agit pour Staël de penser uniment la liberté civique et civile des modernes dans un rapport de confiance aux institutions et à leurs représentants. La manière dont Staël se réapproprie la défense par Rousseau des droits de l’individu est d'abord analysée, puis la façon dont la philosophe réarticule liberté politique et civile, et enfin les propositions pour restaurer la confiance fondatrice de la République.